S’améliorer plus pour gagner moins

L’impossible équation !

 

 

Vous avez reconnu le slogan d’un de nos anciens présidents. Il disait :

 

”En France, il doit être possible de travailler plus pour gagner plus

 

Le but était, je le rappelle d’encourager à faire des heures supplémentaires en défiscalisant partiellement celles-ci.

 

 

He bien aujourd’hui, je vais vous raconter mon expérience dans une entreprise un peu particulière.

En effet, sa particularité tient au fait que plus ses processus s’améliorent, moins elle devient performante.

Peut-être vous souvenez-vous de mon article “Less is More” dans lequel je disais qu’un processus simple est souvent abouti et performant.  He bien pour cette entreprise, ce serait plutôt : “Less is Less”.

Comme dirait   “Hmmmm, l’incrédulité dans vos yeux je lis”    😉

 

Vous vous dites que normalement, si on améliore un processus, l’entreprise devient plus performante

Vous avez bien raison et l’amélioration des processus est la raison d’être du Lean et donc … de ce blog même.

 

Vous avez raison … à une condition.

 

Cela va dépendre de ce que vous faites des gains obtenus !!!!

 

 

À chaque époque son équation

 

 

Un petit peu d’histoire …

 

Durant les trente glorieuses, l’équation qui prévaut est :

 

PV (Prix de Vente) = Coût + Marge

 

À cette époque “bénit des dieux” (après guerre), en caricaturant un poil, l’offre était tellement inférieure à la demande que tout ce que vous fabriquiez, vous le vendiez.

Le Prix de Vente, bien que souvent très élevé (plusieurs années de salaires pour l’achat d’une voiture et plusieurs mois pour une machine à laver, … demandez à vos parents), n’était pas un gros frein à la consommation.

L’équation était simple. Vous calculiez quel était votre coût de fabrication, vous ajoutiez la marge souhaitée et le tour était joué, vous aviez votre Prix de Vente.

Puis, les chocs pétroliers sont arrivés. Puis, les marchés se sont saturés. Puis, l’offre a dépassé la demande. Puis, la mondialisation est apparue … et la concurrence s’est considérablement accrue. Etc., Etc.

 

 

Aujourd’hui l’équation qui prévaut est :

 

Marge = PM (Prix Marché) – Coût

 

Mathématiquement parlant, vous me direz que c’est la même chose … et vous n’aurez pas tout à fait tort.

 

Mais comme je vous sais perspicace, vous avez remarqué que le Prix de Vente PV a été remplacé par le Prix Marché PM.

Cette différence est considérable, car  …

 

Autrefois le prix de vente était fixé par le fabricant/vendeur

Aujourd’hui le prix de vente est fixé par le marché

 

Autrement dit :

 

Nous n’avons plus la main sur le prix

des produits que nous vendons !

 

Aussi, face à la concurrence et l’érosion des prix sur le marché, la seule manière de rester à flot et de continuer à gagner de l’argent est de limiter les coûts au strict minimum. De ce fait, la marge sur vente restera positive.

 

 

Venons-en au fait et posons le contexte

 

L’entreprise dont je vous parle est une PME. Leur fabrication consomme beaucoup de matière et un peu de main d’œuvre.

Nous décidons de lancer un chantier de progrès afin de réduire la “Gâche” de matière première.

Logiquement, si pour un même nombre de produits finis vendus, vous consommez moins de matières premières, votre coût unitaire est moindre et votre marge augmente. Vous êtes alors plus performant, plus rentable, … et cerise sur le gâteau, plus écologique.

 

 

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Oui mais …

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                          Il y a “un loup”

 

En effet, après la joie des premiers progrès, ce fut la douche froide.

Nous nous sommes rendu compte qu’en améliorant les processus de l’entreprise, la gâche avait bien diminué. Les coefficients matière dans les nomenclatures ont donc été revus à la baisse. Le coût de revient unitaire des produits a donc diminué

 

mais leur prix de vente également !

 

Un exemple valant mille mots …

Avant : Le produit coûte 100 € dont 70 € de matière première. Vous appliquez une marge de 20 % et le vendez 120 €.

Après chantier de progrès : Le produit coûte 80 € dont 50 € de matière première. Vous appliquez une marge de 20 % et le vendez …

96 € !!! Seulement 96 € !!!

 

 

Quel est le problème ?

 

Le problème de premier niveau est que le fonctionnement du service commercial est défaillant. Les commerciaux de l’entreprise sont “restés scotchés” au mode de fonctionnement des trente glorieuses.

Ils appliquent toujours l’équation “PV = Coût +Marge” alors que nous sommes dans un contexte et une époque où c’est le Prix du Marché qui fait loi.

Les conséquences d’une telle attitude suicidaire sont :

– Ils conservent leur marge en pourcentage, mais aux dépens de la marge en euros et donc, sacrifient un levier important de rentabilité

– Ils positionnent leurs produits bien en dessous du Prix Marché. Ainsi, ils cassent le marché ce qui participe à une érosion des prix importante et pas toujours justifiée. À long terme, il y a de grandes chances que cela leur revienne dans les gencives (effet Boomerang).

Ils “déboussolent” leurs clients. Ces derniers peuvent s’étonner d’une telle différence de prix par rapport à la concurrence. Le client se dira qu’il fait une très bonne affaire face à un fournisseur qui “s’est planté” et ne semble pas bien maitriser le calcul de ses prix. L’image de professionnalisme de l’entreprise en pâtit. Le client peut aussi (comme cela s’est passé en 2012 avec l’arrivée des offres de téléphonie mobile de Free) se dire que ce prix de 96 € est le bon et donc que jusqu’à présent il s’est fait arnaquer. Image négative pour toute la profession …

– Plus pernicieux. Avec un tel tarif sur le marché, les commandes affluent en masse. Vous augmentez vos ventes, mais le chiffre d’affaires est moindre à volume égal. Vous saturez votre atelier avec du “Low Cost” (ou produit d’appel). Le responsable de production l’a bien remarqué et me dit “En quelques mois on a vu le volume de travail augmenter, mais au final le résultat, lui, n’a quasiment pas augmenté”.

 

Par contre, la commission du commercial augmente un peu … et il est tout fier d’avoir conservé ses 20 % de marge.

En agissant de la sorte, le service commercial “redonne” directement aux clients tous les gains que l’entreprise s’est efforcée de gagner en interne.

 

 

Les commerciaux ne travaillent pas avec des prix marché. Ils travaillent juste avec une calculette et appliquent bêtement un coefficient de marge sur leur Coût de revient.

Imaginons s’ils travaillaient au prix marché : Avant votre produit était vendu 120 € et vous rapportait 20 € de marge. Après chantier de progrès, vous pouvez le vendre 115 €, soit 5€ de moins que la concurrence (le marché), mais il vous reste 35 € !!!

Nota : Une fausse bonne idée serait de cacher le coût de revient unitaire aux commerciaux. En effet, le fait de connaitre ce chiffre permet au commercial de connaître la marge de manœuvre dont il dispose pour affronter la concurrence. Cela l’aide à savoir jusqu’où il peut descendre son prix pour essayer d’obtenir l’affaire.

Dans notre cas, le commercial offre directement à son client le prix le plus bas, le prix plancher.

 

 

Quelle est la cause racine du problème

 

Nous l’avons vu, le fonctionnement du service commercial est gravement défaillant.

Le but d’un commercial est de vendre un produit dans les meilleures conditions possible en tenant compte de ses concurrents (le Marché), mais aussi des contraintes internes de son entreprise.

Or, manifestement, ce n’est pas le cas ici. Les commerciaux ne font pas leur boulot.

Il est plus facile de travailler avec la calculette et des prix plancher que de chercher à savoir quel est le vrai prix marché.

En effet, pour connaitre un prix marché, il faut “enquêter”, interroger ses clients pour savoir ce que propose la concurrence, chercher des informations et faire tout simplement de …

 

la veille concurrentielle !

 

Mais pourquoi forcer quand il est si facile d’emporter une vente avec sa calculette ?

 

Face à cette situation, j’ai organisé une réunion avec le responsable de production, le directeur commercial et le directeur général.

Durant toute la réunion, les uns et les autres n’ont pas cessé d’essayer de trouver des “biais” en jouant sur les coefficients dans le système d’information. Cela a toujours abouti à des “usines à gaz” inexploitables.

J’ai donc décidé d’être un peu plus brutal en leur rentrant un peu plus “dans le chou” pour les faire réagir. Je les ai un peu engueulés pour leur faire comprendre qu’il ne servait à rien de mettre des rustines, mais qu’il fallait reposer à plat l’organisation et les pratiques du service commercial.

J’ai dû y aller un peu trop fort. Mea Culpa. J’ai bien senti qu’ils se sont vexés et je les ai “gonflés”. Nous ne travaillons plus ensemble, mais tant pis, … je n’aurais pas pu continuer dans ces conditions.

En fait …

 

la cause racine du problème est managériale !!!

 

Le directeur commercial est quasiment le N°2 de la boite, juste derrière le directeur général qui est N°1. Ils s’entendent bien tous les deux et sont assez proches.

Aussi, remettre en cause l’organisation du service commercial, c’est un peu comme remettre en cause les compétences du directeur commercial (puisque ce dernier ne bouge pas).

Et là,…

 

il y a manifestement une barrière que

le directeur général n’est pas prêt à franchir !

 

 

Ce que je retiens

 

Cela me fait mal au cœur, car l’équipe est très sympa. La boite a les outils techniques, maitrise son sujet et a un assez bon niveau de qualité.

Mais de mon point de vue … elle va droit dans le mur faute de ne pas avoir ouvert les yeux plus tôt.

 

Le directeur général fait face à l’impossible équation :

Surtout ne pas s’améliorer pour ne pas donner tous ses gains à ses clients.

En même temps, si rien ne progresse, l’entreprise va s’endormir, perdre en compétitivité et mourir gentiment.

 

Et si un jour la boite coule, on dira que c’est la faute de la mondialisation…

Parfois, par dépit, je me demande si certaines boites valent le coup d’être sauvées …

 

 

 

 

Et vous, à la place du DG, que feriez-vous ?

 

 

 

 

 

2 Commentaires

  1. Bonjour
    Aujourd’hui consultant,pour avoir vécu la même situation non pas en tant que consultant,mais comme responsable de production en finisant par m’opposer au DG .Aujourd’hui ce vécu pèse lourd dans mon approche vis à vis des entreprises.il n’est pas rare de me retrouver face à des dirigeants figer dans leur posture.

    • Bonjour Pascal,

      je vous remercie pour votre commentaire. Je ne suis donc pas seul à avoir vécu une telle situation. 🙂

      Quel dommage, quel gâchis !

      La mondialisation à bon dos lorsque de telles entreprises coulent. Je pense en fait que c’est une forme de sélection naturelle (Darwin)
      conséquence de l’incompétence ou du manque de courage managérial du top management.

      C’est tout le challenge de notre métier d’essayer de faire bouger les dirigeants…

      Au plaisir de vous relire.

      Eric

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