Quelle belle fiche de résolution de problème ! Et pourtant …
Ha ça, pour être belle, elle l’est !
Bien structurée, même si un poil trop compliquée, et consciencieusement remplie …
En un mot, un bel exemple de fiche de résolution de problème sur le Gemba (terrain)
Mais voilà ! Elle a beau être jolie … elle n’en est pas moins passée à côté …
À côté de quoi ?
À côté de la cause racine !!!
Le but des méthodes de résolution de problème est d’identifier les causes racines des problèmes, afin d’éradiquer définitivement ces derniers. Si les problèmes reviennent, c’est qu’ils n’ont pas été résolus correctement … et donc que les causes racines n’ont pas été identifiées et traitées.
La méthode 5P (5 Pourquoi) permet l’identification de ces causes racines (voir mon article précédent : Les 5P )
La faute à quoi ?
Regardons le problème . Lors du contrôle visuel avant expédition, des rayures sont régulièrement détectées sur le carter de protection du produit fini. Le produit passe alors par la case “retouche en cabine de peinture”.
Cela entraine bien entendu des retards de livraison et un surcoût de fabrication.
La première étape a été de localiser où se produisaient ces rayures. Il a été constaté que les produits rayés étaient tous sortis de la ligne à un moment de leur fabrication et placés en zone d’attente.
Un 5P a été lancé. Voici ce qu’il donne :
- Pourquoi le produit est-il rayé ?
Parce qu’il a été sorti du flux de fabrication au poste P
- Pourquoi est-il sorti du flux de fabrication au poste P ?
Parce qu’il y avait une rupture sur l’article X
- Pourquoi y avait-il rupture sur l’article X ?
Parce que le fournisseur n’avait pas livré l’article X dans les délais
Contremesure adoptée : Relancer le fournisseur
Satisfaction générale devant ce 5P … raté !!!
Tout le monde est passé à côté !
Que ce soient les opérateurs, les managers, les techniciens ou le responsable amélioration continue, personne ne trouvait rien à redire de ce 5P et de la cause racine identifiée.
Souhaitant les faire réfléchir, j’ai préféré leur poser des questions plutôt que de leur expliquer.
Eric : S’il y a des rayures sur le produit, c’est à cause du fournisseur. Le fournisseur est donc la cause racine du problème, vrai ?
Le groupe : Oui c’est vrai, car si le produit n’a plus besoin de sortir de la ligne, il n’y a plus de rayure. Le fournisseur est donc bien la cause racine.
Eric : Puisque vous avez identifié la cause racine, vous pouvez donc garantir que le problème n’arrivera plus, vrai ?
Le groupe : … ???
Eric : Pouvez-vous garantir que le fournisseur ne livrera plus sa pièce en retard ?
Le groupe : Non ce n’est pas possible, car nous n’avons pas “la main” sur le fournisseur.
Eric : Le problème peut-il donc se répéter ?
Le groupe : Oui, chaque fois que le fournisseur nous livrera en retard (rupture du composant).
Eric : Puisque le problème peut revenir, pensez-vous vraiment avoir trouvé la cause racine des rayures sur le carter du produit fini ?
Eric : OK. Alors, reprenons le 5P …
- Pourquoi le produit est-il rayé ?
Parce qu’il a été sorti du flux de fabrication au poste P
FAUX !!! Ce n’est pas juste le fait de le sortir du flux qui raye le produit, je souhaite savoir ce qui a directement occasionné la rayure. Je repose la question …
- Pourquoi le produit est-il rayé ?
Parce quand il a été sorti du flux de fabrication au poste P, il a frotté contre un pilier de rack métallique
Enfin, on tient le bon bout !!!
- Pourquoi a-t-il frotté contre le pilier du rack ?
Parce que le passage entre le mur et le rack est étroit et que le pilier ne porte pas de protection en mousse
- Pourquoi le passage est-il étroit et le pilier non protégé avec de la mousse ?
Parce que lors de l’implantation de la ligne, le produit n’était pas censé passer par là
Contremesure adoptée : Le déplacement du rack n’étant pas possible, un guidage et des protections en mousse ont été mis en place.
Dès lors, plus aucun produit n’est arrivé en fin de ligne avec des rayures sur le carter de protection.
La cause racine a donc bien a été identifiée, puisque ce problème n’est plus réapparu.
Que faut-il retenir ?
Deux choses essentielles :
- La cause identifiée lors du premier 5P était bien réelle. Effectivement, l’amélioration de la fiabilité du fournisseur aurait permis une diminution du nombre de produits rayés en bout de ligne. Mais …
… ce n’était pas la cause racine du problème
C’était une cause indirecte ou secondaire.
Nous pouvons constater une fois encore que l’outil 5P n’est pas “sorcier” à comprendre en lui-même. Pourtant, il est très facile de se tromper … et cela arrive plus souvent qu’on ne le croit.
- Former au 5P ne signifie pas juste expliquer la méthode en salle devant un beau PowerPoint. Il est primordial d’accompagner la personne formée lors de la mise en pratique sur le terrain (d’où le rôle essentiel des “team leader” ou managers de premier niveau).
Comprendre est une chose, savoir faire en est une autre …
C’est en “ faisant” qu’on apprend
C’est en allant voir sur le Gemba qu’on comprend
Et vous, avez-vous aussi une anecdote à partager sur les 5P ?
M. Calmettes, vous pourriez préciser dans votre article: « le responsable amélioration continue de l’époque ».
Tu sais que je n’aurais jamais laissé ce 5P partir dans cette direction…
Je te taquine…mais bon, soyons humble: Learning by doing…
Amicalement.
Bonjour « Kaoru »,
je suis surpris et ravi de voir que tu jettes un œil sur mon blog de temps en temps.
Oui, tu as raison, c’était le responsable AC … de l’époque.
Toi, tu es plus affûté et en plus, il me semble que tu aimes ça …
Ceci dit je ne le blâme pas. J’ai eu de la chance de tomber dessus, c’est tout.
Je suis juste allé voir sur le Gemba … 😉
A bientôt, « Kaoru », et donne-moi quelques nouvelles de temps en temps.
Amicalement,
Eric
Bonjour Eric,
Aux 5 pourquoi on peut y associer les 3 ou 4 « par conséquent » pour remonter la chaîne des pourquoi et vérifier si l’on est sur la bonne root cause. Prenons-votre exemple raté:
Si le fournisseur avait livré l’article à temps:
1)Par conséquent, il n’y aurait pas eu de rupture de stock
2)Par conséquent, l’article n’aurait pas été sorti du flux
3)Par conséquent l’article n’aurait pas été rayé !!!
On voit l’incohérence entre le 1 et le 2 et le manque total d’explication sur les rayes produites
Par contre dans votre exercice réussi:
le produit n’est pas censé passer par là:
1) Par conséquent il se raye contre le pilier à son passage.
Bingo ! On est sur la root cause
C’est à mon avis un bon système de preuve. Qu’en pensez-vous ?
Cordialement
D.Parreaux
Bonjour Didier,
je vous remercie pour votre commentaire.
Votre proposition de vérifier le processus en descendant par des « pourquoi » et en remontant par des « par conséquent » est vraiment très intéressante, pertinente … et comble une lacune de mon article. J’aurais dû évoquer cet aspect. Aussi je vous remercie de l’avoir fait.
Lorsque j’explique le principe des 5P, je parle de cet aspect afin d’éviter de prendre une mauvaise direction.
Toutefois, dans le cas de notre exemple, pour l’équipe, l’équation était très claire. Sortie du flux = rayure. Par conséquent, pour eux, un produit rayé était sorti du flux à un moment donné, un non rayé n’était pas sorti du flux. Et, en regardant les historiques des produits, cela se vérifiait.
En fait, ils avaient tout simplement pris un raccourci et sauté une ou deux boucles « Pourquoi/par conséquent ».
Dans l’article de présentation des 5P (Les 5P), je prends l’exemple du désamorçage de la pompe à main de mon beau-père. J’aurais pu ne faire qu’une seule boucle « Pourquoi se désamorce-t-elle ? Parce que le joint n’assure plus l’étanchéité. » En appliquant le « par conséquent » cela aurait fonctionné. « Mon joint n’assure plus l’étanchéité, par conséquent la pompe se désamorce » . Donc, un seul Pourquoi aurait suffi. Toutefois, dans ce cas nous n’aurions jamais évoqué la possibilité que le corps de la pompe soit fissuré …
La boucle « pourquoi/par conséquent » est nécessaire, mais n’est quand même pas toujours suffisante.
Je dirais donc qu’il faut rester très trivial, terre-à-terre, « pratico-pratique » lorsqu’on fait un 5P et reprendre presque mot pour mot dans la question « Pourquoi… » ce qui a été dit dans la réponse précédente. La vérification « Par conséquent » venant renforcer la fiabilité du processus.
Bien cordialement,
Eric