Quotas et primes sont des “tue-l’amour” du Lean (2/2)

Pourquoi Quotas et Primes sont-ils des flingueurs de Lean ?

 

Chaton fusil

 

Nous avons vu la dernière fois ( voir l’article sur
les “tue-l’amour” du Lean) que quotas et primes individuelles engendraient certains comportements.

 

Mais d’un point de vue Lean …

… quel est le problème ?

 

 

En quoi la présence de quotas et de primes individuelles serait-elle nocive à une démarche Lean ?

 

Petit retour sur le Lean

 

 

Pour “faire court”, devenir Lean, pour une entreprise, c’est mettre l’accent sur la qualité des produits qu’elle livre tout en les faisant traverser ces ateliers/bureaux le plus rapidement possible.

Il est donc question de comprendre le flux qui génère de la valeur pour l’améliorer afin qu’il s’écoule le plus rapidement possible. Une analogie est souvent faite avec l’eau ruisselant dans une rivière ou un tuyau.

Plus il y a d’obstacles sur le parcours de l’eau, plus mon flux est ralenti. Il va donc se créer des retenues d’eau (du stock), il va falloir aider ce flux à s’écouler en déplaçant de l’eau (transport & mouvements), etc., etc.

 

L’esprit du Lean sera donc employé à identifier et éliminer tout ce qui peut être à l’origine d’un obstacle.

Trois fléaux ont été identifiés. Il s’agit de :

j en ai marre

 

  • la surcharge, l’excès, le déraisonnable
    (voir l’article sur le Muri)

Toy Story - le grappin

 

  • la variabilité, l’instabilité dans le processus
    (voir l’article sur le Mura)

7 Mudas

 

 

 

Le problème avec les quotas et les primes individuelles, c’est qu’ils induisent des comportements qui eux-mêmes…

 

… vont générer du Muri, du Mura et donc des Mudas

 

Explications

 

Prenons un exemple. Un opérateur doit produire 240 pièces en huit heures. Cela revient à produire 30 pièces par heure pendant 8 heures.

Si l’opérateur produit 200 pièces en 5 heures (soit 40 pièces par heures) puis 40 pièces en 3 heures (soit 13 pièces à l’heure), il consomme plus de matières premières que prévu pendant les 5 premières heures (25 % d’écart en +) et bien moins pendant les trois dernières heures (57 % d’écart en moins).

Par son attitude …

 

… cette personne génère un “à-coup” (Mura) dans le flux
et provoque un phénomène d’accordéon !!!

 

À l’échelle d’une seule personne, peut-être cette variation est-elle absorbable par l’entreprise.

Toutefois, si dix opérateurs agissent de même, ils vont mettre en difficulté les postes amonts chargés de les approvisionner en matières premières ainsi que les postes avals qui reçoivent leurs produits.

Les postes amonts n’arrivent plus à “fournir la demande” (10 postes à 40 pièces/h au lieu de 10 postes à 30 pièces/h). En effet, la demande est de 400 pièces/h alors que le poste de débit des matières premières n’est dimensionné que pour 300 pièces/h.

Il en est exactement de même avec le poste aval. L’emballage n’est dimensionné que pour traiter 300 pièces/h. Mais dans les premières heures de la journée, il voit arriver 400 pièces par heures.

 

Conséquences …

 

Elles sont multiples et très néfastes !

 

  • Pendant les premières heures, il y a rupture d’approvisionnement de matière première. Cela signifie alors que certains postes de production ne seront plus alimentés. Ils risquent… d’attendre ce qui est un comble pour des postes qui produisent trop vite !!!

 

  • Le poste de débit matière croule sous la demande. Le gars du débit est stressé, énervé (Muri) et pire, peut se sentir coupable de ne pas réussir à livrer la matière première en nombre suffisant à ses collègues.
    Les opérateurs de production, qui travaillent comme de fous en début de journée pour être certains d’atteindre leur objectif, doivent attendre. Cela les rend malades et ils s’énervent. Parfois, ils sont tellement “vénèrent”, qu’ils décident d’aller eux-mêmes débiter cette foutue matière. Bien entendue, agissant ainsi, ils envahissent alors l’espace du débit, dérangent tout et tout le monde dans la zone.
    De même le gars à l’emballage voit arriver un afflux de produits bien supérieur à ce qu’il peut traiter. Cela le “speede” (Muri). La place n’est pas prévue pour autant de produits et ces derniers débordent sur l’allée ou les postes voisins. Puis dans la matinée, conséquence des ruptures au débit matière, l’emballage ne verra plus rien venir pendant un certain temps (il risque même d’attendre) puis à nouveau, il sera submergé (il “re-speede”).
    Bien entendu, “un chef” passant par là et voyant un de ses gars attendre aura l’excellente idée de “l’occuper”. Du coup, lorsque les produits arriveront enfin, la personne ne sera plus disponible et les pièces attendront … etc., etc., etc., …

 

Vous croyez que j’exagère, que ce n’est pas possible,
que c’est une caricature ?


Bande de Bisounours, va !!!

 

Bisounours

 

Nota :
J’ai évoqué le speed du matin, mais le ralentissement de l’après-midi générera à peu près les mêmes effets.

 

  • Parlons qualité, respect des standards, amélioration continue, résolution de problèmes
    Croyez-vous qu’une équipe stressée et énervée comme celle que nous venons d’évoquer prête attention à tout cela ?
    Non, l’équipe entière, management compris est passé en mode “PIMPOM” (pompier, pour ceux que mon humour à deux balles laisse de marbre 😉 ).

 

  • L’un des points importants du Lean est de “penser à long terme”. Lorsque vous êtes en mode pompier, pensez-vous avoir le temps de prendre du recul et de réfléchir ?
    Absolument pas, vous êtes dans l’action … dans le court terme le plus total.

 

  • Autre point qui me vient à l’esprit. Fonctionner en mode pompier, jour après jour, tout le temps et vous finirez par trouver cela normal. Vous parviendrez même à le justifier, à l’expliquer.
    Il vous semblera alors impossible de faire autrement. Vous serez la tête dans le guidon, c’est le cercle vicieux.
    Et pour en sortir… ce sera galère garantit.

 

 

Me croyez-vous maintenant lorsque je vous dis que les quotas et les primes individuelles sont à l’origine de Muri, de Mura et de tous les Mudas ?

 

Quotas et primes sont de véritables flingueurs du Lean !

 

Alors que faire, quelles contre-mesures peut-on mettre en œuvre ?

 

Avant d’entrer dans des préconisations, quel est le problème ?

Le problème, nous l’avons vu, vient des attitudes induites par les primes et quotas.

La prime individuelle va être une incitation à produire plus, à produire au maximum de ces capacités. Ainsi, elle incite à la surproduction (produire trop, trop tôt, trop vite) qui est le pire des Mudas puisqu’il génère tous les autres. La prime individuelle est donc en partie à l’origine des engorgements en production et donc de l‘effet accordéon (comme sur l’autoroute un jour de grands départs).

Le quota n’est pas réellement un problème en soi. C’est un repère, un objectif à atteindre. C’est en quelque sorte une forme de standard. C’est donc plutôt positif.

Le souci avec les quotas vient de leur “intervalle de temps”. Combien d’entreprises ont un objectif de facturation au mois. Les premiers jours du mois, elles ne facturent rien. En fin de mois, c’est la folie …

Nous avons vu les inconvénients d’un quota à la journée. Imaginez s’il était à la semaine.

 

Dans une telle situation, voici ce que je préconise et pourquoi je le préconise :

 

  • Remplacer la prime individuelle par une prime collective annuelle liée à un objectif d’équipe

 

      • cela permet de fixer un objectif ambitieux tout en répartissant la charge sur une “longue période” et sur un “ensemble d’épaules” (celles de l’équipe entière)

 

      • l’objectif état fixé pour l’équipe, c’est-à-dire les gars et leur manageur, cela induira plus d’esprit d’équipe et de solidarité qu’un système individuel où chacun s’occupe des “ses petites affaires”

 

      • le lissage sur un horizon annuel atténue l’impact d’un “coup de mou” qui peut être très frustrant dans un système individuel. À la fin du mois, je n’ai pas de surprise sur ma feuille de salaire.

 

      • l’horizon lointain enlève un peu de stress au quotidien. Il faut tout de même avouer (rien n’est parfait) qu’en fin d’année ce stress ressurgit à l’approche de l’échéance. Surtout si l’équipe est juste en dessous de l’objectif. Au-dessus, la prime d’équipe est acquise, c’est cool. Franchement en dessous de l’objectif, ce n’est pas une surprise, en général on le sait depuis plusieurs mois. Mais juste en dessous, en sachant qu’il est atteignable … là, le stress réapparaît.

 

 

  • Réduire “l’intervalle de temps” du quota

 

      • en instaurant non plus un quota à la journée, mais un quota à l’heure, vous vous donnez un moyen de régulation de la production. Si le quota est de 30 pièces/h, alors en faire 20 est un problème, mais en faire 40 est aussi un problème. L’outil idéal pour mettre en œuvre cette règle est le plan de marche. C’est un tableau simple qui indique, heure par heure, la quantité à produire et la quantité réellement produite.

 

      • l’instauration d’un quota à l’heure et d’un plan de marche, en plus d’inciter à la régularité, vous permettra de savoir très rapidement s’il y a une dérive et de pouvoir agir dans le feu de l’action, pas a postériori, lorsqu’il est trop tard. C’est donc du management visuel.
        Si la dérive est négative, c’est que l’opérateur rencontre certainement un problème et qu’il a besoin d’aide.
        Par exemple, si vous ne regardez le bulletin scolaire de votre enfant qu’en fin de trimestre, vous risquez d’avoir une mauvaise surprise (vous ne serez pas content, mais c’est lui qui en subira tôt ou tard les conséquences). En revanche si vous surveillez ses notes toutes les semaines (vous faites le Check du PDCA) vous identifierez plus rapidement s’il y a une dérive, et vous pouvez “réajuster le tir” pour qu’il n’accumule pas des lacunes.
        En revanche, si la dérive est positive (l’ouvrier produit trop vite), c’est aussi un problème et il faut le résoudre. Cela peut-être le temps théorique (prévu en gamme ou sur devis) qui est trop important, ou le gars qui est encore dans une logique “surproductive”, ou bien autre chose …

 

      • la régularité de la production signifie souvent travailler “moins vite” (mais mieux). En travaillant moins vite, je peux être plus attentif à la qualité. Cela diminuera nettement le taux de rebut ou le taux de retouche (qui coûte très cher à nos entreprises).
        Cela permet aussi de mieux respecter les standards et notamment ceux de sécurité. Il en résulte donc une diminution des accidents du travail. La pénibilité est aussi atténuée.
        Au final, en travaillant “moins vite”, l’entreprise gagne plus d’argent et les gars bossent dans de meilleures conditions.
        En somme, tout le monde est gagnant. Que demander de plus …

 

      • cerise sur le gâteau, le quota à l’heure servira d’introduction à la notion de Tak Time.
        Or le Takt représente ni plus ni moins que la demande du client (entité, bien trop souvent oubliée dans nos boîtes). La boucle est bouclée, non ?

 

 

 

Alors, pensez-vous toujours que les primes et les quotas

soient indispensables pour bien produire ?

 

 

 

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

cinq × 1 =