Ou comment reculer en voulant avancer
Il est un fait que je constate de plus en plus souvent sur le terrain …
Le manque de “Vision Lean”
Et ce manque de “vision Lean” ne se manifeste que sur du moyen/long terme.
Non seulement il freine la boite dans son développement, mais il arrive souvent qu’il la fasse régresser.
Oui, oui, j’ai bien dit régresser. Au lieu de gagner en performance, elle perd. Et ce, alors même qu’elle fait tout pour progresser. Du moins … pense-t-elle tout faire !
Mais avant d’aller plus loin … posons-nous la question de savoir ce qu’est une “vision Lean”.
Vision Lean
En fait, c’est assez simple.
J’ai assisté à une conférence sur le Lean il y a quelques mois. Elle était organisée lors d’un salon sur la sous-traitance et avait pour but de présenter ce qu’était le Lean aux PME présentes sur le salon.
L’un des intervenants travaillait chez Peugeot et en même temps effectuait un doctorat sur le sujet …
J’ai beaucoup aimé sa présentation du Lean, son côté “vulgarisation” auprès d’un public néophyte.
Il nous a expliqué :
Le taylorisme, c’est l’optimisation de la ressource.
Le Lean, c’est l’optimisation du flux.
Bien que n’appréciant guère l’utilisation du mot “optimisation”, je trouve cette définition très intéressante.
1) Le Lean est un système complet. Il se définit souvent par opposition au Taylorisme. Cela ne signifie pas qu’il rejette les apports du Taylorisme. Non, il s’est construit sur le Taylorisme et le Fordisme. Mais il va plus loin …
2) Cette définition introduit d’emblée deux notions qui sont très importantes. Il s’agit des notions de “Local” et de “Global”. La ressource, c’est le Taylorisme, c’est améliorer le local. Le flux, c’est le Lean, c’est améliorer le global.
Le Lean, c’est améliorer le flux, améliorer le global
La vision Lean, c’est “voir Global” plutôt que “voir Local”
Quel impact sur le terrain ?
Comme je vous le disais en introduction, ce manque de vision Lean peut ralentir une entreprise alors qu’elle fait tout pour se développer et augmenter ses performances. Poussé à l’extrême, cela peut même la “couler”.
Comment est-ce possible ?
En fait, cela est inhérent à sa croissance. En effet, pour se développer, une entreprise a souvent besoin de recruter de nouveaux collaborateurs. Aussi, et c’est bien normal, elle cherche à compléter son équipe par des ressources humaines, de plus en plus spécialisées, pointues et expertes.
Ce faisant, elle incorpore de la compétence supplémentaire qui permet à l’entreprise de progresser …
Par exemple …
- Le recrutement d’un acheteur ou d’un commercial “à l’aise” en Anglais et ayant déjà travaillé à l’import ou à l’export. Cela permet à la boite de donner une dimension internationale à son sourcing ou ses marchés.
- Le recrutement d’un informaticien afin d’homogénéiser, de maintenir le réseau et d’implémenter le passage au nouveau système d’information (ERP, GPAO,…).
- Le recrutement d’un juriste afin de mieux gérer les aspects contractuels et éviter de possibles litiges ultérieurs.
- Le recrutement d’un responsable Qualité, afin de progresser dans ce domaine et d’obtenir une certification de type ISO.
- Le recrutement d’un responsable Maintenance, afin d’aider l’entreprise à maintenir son parc de machines en état de fonctionnement (parc de plus en plus technique au fil des investissements).
- Le recrutement d’un responsable commercial, d’un responsable logistique, d’un comptable, d’un “bureau d’études”, etc., etc.
OUI, MAIS !!!
Chaque recrutement va apporter son “lot de plus”.
- Plus spécialisé, plus expert, le nouveau collaborateur va en général pousser les démarches plus loin que ne le faisait auparavant la société. En soi, c’est une bonne chose, car l’entreprise gagne en professionnalisme. Cela lui permet souvent de “basculer” du “monde artisanal” au “monde industriel”.
Oui, mais … cela nécessite aussi d’intégrer de nouveaux concepts et de nouvelles habitudes. Cela peut aussi induire une charge de travail supplémentaire (on fait maintenant des “trucs” que l’on ne faisait pas avant).
- Tout apport de nouveaux concepts doit s’accompagner d’une “information / formation” envers les “anciens collaborateurs”. Le but est alors de les faire grandir par “capillarité” au contact des nouveaux.
Oui, mais … cela nécessite de prendre le temps se former et d’accepter de remettre en cause ses propres pratiques, le fameux “on a toujours fait comme ça”. Et pour un collaborateur présent dans la boite depuis … “bouger” parce que le “petit nouveau”, aussi compétent soit-il, le demande, “ça fait ch…” !
- Bien souvent, les nouveaux recrutés viennent soit de l’école, soit de grands groupes. Dans les deux cas, ils ont appris ou évolué dans des univers assez structurés (et structurants). Ils sont donc familiarisés avec la notion d’indicateurs de mesure de performance. D’ailleurs, la plupart du temps ils sont à l’origine de la mise en place de tels indicateurs. Notamment pour se rassurer et rassurer leur nouvel employeur sur leur efficacité. Et en soi, c’est encore une bonne chose. Cela permet de travailler avec des faits et non plus des jugements … ce qui est “davantage Lean”.
Oui, mais … ce faisant, ces indicateurs deviennent très souvent leurs seuls repères pour piloter leur activité. Ils en oublient souvent le fait qu’ils ne sont “qu’un maillon d’une chaine complète”.
Les conséquences pour l’entreprise
Les conséquences pour l’entreprise peuvent être sérieusement néfastes, voire désastreuses, à moyen et long terme.
Ces conséquences négatives peuvent se résumer en un seul mot :
Le CLOISONNEMENT
Vous obtenez alors un système de production (ce système qui produit la valeur ajoutée pour vos clients) de plus en plus lourd et difficile à piloter, de plus en plus inefficace et de moins en moins performant.
La rentabilité de vos affaires baisse, les délais de livraison s’allongent et souvent la qualité de vos produits diminue !
Et le pire, c’est que personne ne comprend vraiment pourquoi … puisque chacun à son niveau s’évertue à être le plus performant possible … et le prouve à grand renfort d’indicateurs LOCAUX !!!
Mais la rentabilité des affaires, les délais de livraison au client final ou le niveau de qualité sont, eux, …
… des indicateurs GLOBAUX
En fait, chaque maillon peut être performant à son niveau, mais l’ensemble de la chaine ne l’est pas.
Et tant que l’on s’en tient à une vision locale (vision Tayloriste, optimisation de la ressource), on ne prend pas de hauteur, pas de recul et on ne voit pas le flux, la vision globale (vision Lean, Optimisation du flux).
Comme souvent dit :
L’optimum global n’est pas la somme des optimums locaux !
Ce qu’il faut retenir
Lorsque le cloisonnement est trop important dans une entreprise, les personnes ne sont plus alignées.
Elles ne “rament” plus en cadence, et souvent même, plus dans la même direction. Aussi, piloter son entreprise dans ces conditions relève du défi permanent.
La plupart du temps, tout le monde travaille dans l’urgence, en mode pompier, trop occupé à éteindre les incendies pour s’apercevoir que “le bateau va droit sur les récifs”.
Le flux est parsemé de Muri, de Mura et de Mudas en tous genres. L’entreprise devient le royaume du “Rework” (retouche, reprise), mais aussi des lots et files d’attente, des à coups (effet accordéon). Il faut plus de monde pour espérer faire le même chiffre d’affaires qu’auparavant. En mode Pompier, l’urgence est la norme, la tension entre les personnes est palpable au quotidien et au final … la démotivation est généralisée.
Quel est le remède ?
1) Prendre conscience du flux et apprendre la vision Lean
2) Raisonner d’abord “Global” puis “Local” et non l’inverse
3) Apprendre à faire la différence entre l’important et l’urgent
4) Fixer le “vrai Nord” (Hoshin Kanri) et raisonner “long terme” au lieu de “court terme”
5) Mettre en œuvre une politique qui permet à chacun de s’aligner sur le vrai Nord
Et voilà, c’est à peu près tout. Vous voyez c’est facile ! 😉 Comme on dit souvent : “YAKA, FAUKON”.
Je suis bien d’accord avec vous, tout cela est bien plus …
… facile à dire qu’à faire !
Et vous, dans votre boite, le percevez-vous ce cloisonnement, ce manque d’alignement ?
Salut Eric,
Merci pour ce nouvel article.
Il est clair que la multiplication des indicateurs locaux engendrent un désalignement et ce effectivement d’autant plus que de nouveaux collaborateurs risquent d’ajouter la mise en place de nouveaux indicateurs (parfois pastèque d’ailleurs). Nouveaux indicateurs si ce n’est un peu redondant à d’autres voire souvent complexifiant au point de faire perdre encore plus de lisibilité (s’il y en avait une…) avec les indicateurs existants qui deviennent encore moins compréhensibles. Les gens risquent d’être perdus.
L’alignement doit venir du top management qui doit partir d’indicateurs sociétés globaux à décliner au niveau local sur le périmètre des collaborateurs concernés. Les indicateurs locaux doivent servir les quelques (souvent très peu) indicateurs de la société.
Le sens doit venir du haut et chacun doit être en mesure de comprendre en quoi son indicateur va abonder la vision long terme de la société.
Bref en gros et en moins gros je suis bien d’accord avec toi 🙂
A +
Fred.
Salut Fred,
je te remercie pour ce commentaire éclairé.
Goldratt (Le but, la TOC – Théorie des contraintes) disait qu’à terme les indicateurs locaux viennent toujours en opposition aux indicateurs globaux.
Je pressens que cela soit vrai. Nous pourrions alors nous dire qu’il n’est pas besoin d’indicateurs locaux et que les indicateurs globaux suffisent.
Mais je pense que ce serait dangereux.
Je n’améliore que ce que je mesure. Et pour mesurer, j’ai donc besoin d’un indicateur.
En revanche ce que je constate sur le terrain, c’est que la gestion des indicateurs n’est quasiment jamais faite.
En effet, sauf les KPI, un indicateur doit servir un projet d’amélioration. Or la plupart du temps, il est créé, vit, mais ne meurt jamais.
Après quelques années, l’entreprise est noyée sous un nombre incalculable d’indicateurs qui risquent de ne plus servir à grand chose, mais qu’on a pris l’habitude de renseigner … Ainsi, cette grosse boite du CAC 40 dans laquelle les ingé s’arrêtaient de bosser le jeudi midi pour terminer leur semaine à faire du reporting pour les réunions de la semaine suivante.
La moitié de la semaine en réunion, un bon tiers en reporting … plus beaucoup de temps pour apporter une quelconque valeur ajoutée.
À bientôt, Fred.
Eric
Salut Eric,
Je n’ai pas suffisamment d’expérience terrain pour valider ou invalider la vision de Goldratt😂. Par contre pour aller dans son sens d’une certaine façon, le danger connu et parfois rencontré est que l’on peut avoir tous les indicateurs locaux au vert (et je parle de vrais indicateurs et pas d’indicateurs pastèques) mais des indicateurs société au rouge. Ça rejoint le concept fort de choisir de vrais indicateurs locaux qui font sens avec la stratégie. Je rejoins complètement l’idée de création temporaire d’indicateurs locaux liés aux suivis de projets Kaizen ou A3 par exemple. A + Fred
Salut Fred,
je te remercie pour ton commentaire.
Bien sûr que si tu as suffisamment d’expérience de terrain pour valider la vision de Goldratt. Tu le prouves même dans ton message.
En effet, tu dis “on peut avoir tous les indicateurs locaux au vert … mais des indicateurs société au rouge”.
Maintenant, posons-nous la question. Et si les indicateurs de la société étaient au rouge justement parce que tous les indicateurs locaux sont au vert ?
Il est évident que si chaque service à ses propres indicateurs au vert, c’est qu’il adopte une organisation “interne” qui lui est propre et qui le met
en phase avec ses indicateurs. Or, il y a toujours un moment où cela se fera au détriment des services connexes.
Par exemple concernant le temps de traversée, le Lead Time (LT)propre à chaque service. Localement, chacun va se mettre un objectif “raisonnable”. Ou plutôt,
chacun va mettre un objectif qu’il pense raisonnable au regard de ce qui est demandé comme Lead Time global. Jusqu’ici tout peut paraitre très logique et de bon sens.
Si le service A fixe son objectif de LT à 2 jours, mais qu’il ne travaille pas en flux, il peut attendre un peu et regrouper des séries (ou dossiers, dans l’office)
et les faire d’un coup le second jour après-midi. Organisé comme ceci, il respecte les deux jours et, cerise sur le gâteau, croit même être performant en évitant
des réglages (puisque j’ai regroupé des séries).
Le problème, c’est qu’il va générer un “à coup”, une vague de charge de travail. Le service suivant B ne verra rien pendant 1,5 jour puis tout à coup il voit arriver
une vague de x dossiers ou série de pièces à traiter. Il peut donc avoir des difficultés à le faire dans le temps prévu par l’objectif du LT de B. Soit B prend du retard
et son LT n’est pas respecté, soit B apporte de la ressource supplémentaire pour tenir son LT objectif.
Si B apporte de la ressource complémentaire, les objectifs de LT des services A et B auront bien été respectés. Les indicateurs de LT seront bien au vert. Mais cela se sera
fait au prix d’un surcoût et donc la rentabilité globale baissera (plus de monde pour traiter la même charge de travail).
J’espère que j’ai été clair, je n’en suis pas certain …
Une entreprise doit être pilotée à l’aide d’indicateurs globaux. Toutefois, les indicateurs locaux sont utiles pour surveiller l’apparition des dérives, car ils sont
proches du Gemba (terrain).
L’idée, que l’on retrouve dans la VSM, est de dire : pour améliorer mon indicateur global, voyons à quel endroit de mon flux cela cloche ? Une fois la source trouvée,
on peut fixer localement un objectif dont on sait que son amélioration impactera directement et positivement l’indicateur global.
Mais si je demande à tous les services d’améliorer leurs indicateurs “QCD”, il y a de grandes chances qu’au final ce soient les KPI globaux qui en pâtissent.
A+, … futur Maître Lean 😉
Eric
Salut Eric,
Explication « crystal clear » comme avait l’habitude de me dire un ancien ceo 😆
J’en profite pour partager un petit retour de ma modeste expérience terrrain sur l’accumulation de dossiers. J’ai expérimenté personnellement l’accumulation de dossiers « débloqués d’un coup » dans mon ancienne entreprise. Les dossiers à valider restaient bloqués sur mon bureau (c’était le bazar d’ailleurs…😆) car je ne prenais pas suffisamment de temps pour les traiter en one piece flow mais en taille de série conséquente. J’ai alors opté par un traitement via une bannette dédiée sur mon bureau que je consultais tous les matins en arrivant. Au début ça a fonctionné mais le quotidien a vite refait surface 😣. La cause racine étant en fait le fait que je ne pouvais pas prendre le temps de façon « régulière » (déplacement et absences notamment) pour les traiter. J’ai finalement héradiqué le problème en faisant monter en compétence une collaboratrice qui validait alors (à l’aide d’un standard de validation) environ 90% des dossiers, seuls 10% nécessitant mon expertise. Collaboratrice que j’ai ensuite doublée par une autre collaboratrice pour éviter les ruptures en cours d’absences 🤗 Une partie des grands principes du lean dans un exemple 😆
Autre retour d’expériences actuels. Je suis sur un site où quasiment tous les indicateurs globaux sont au vert mais les principaux indicateurs locaux en terme de résolutions de problème des différents niveaux hiérarchiques (nombre de problémes remontés et résolution de problème et revues des A3 projets) sont au rouge.
Le cas contraire de notre discussion en fait 😉
On passera en vert foncé au noveau global quand on aura fait le check de pourquoi ça a fonctionné au début et pourquoi ça ne fonctionne plus 😉
Maître lean ça existe cette bête? Je crois déjà plus au père noël alors…
A+
Fred
Salut Fred,
comme d’habitude, je te remercie pour tes commentaires éclairés.
Sur la première partie de ton commentaire, je ne reviens pas dessus, car je l’ai utilisé dans l’article du 30 mai « parlons un peu de Valeur Ajoutée ».
Sur ton site actuel, si les indicateurs globaux sont au vert et que les locaux sont au rouge, c’est peut-être le signe que les personnes compensent certains défauts organisationnels … pour que le job soit fait. Par exemple, le facteur qui fait des heures sup pour que tout le courrier soit distribué dans la journée.
Si la résolution des problèmes et les revues de A3 sont « au point mort ou presque », c’est peut-être que l’équipe est en mode pompier et travaille dans l’urgence.
Dès lors, puisqu’il faut « assurer le nécessaire » les A3 passent pour du « superflu ».
Pour moi, c’est un problème de management du directeur du site. Malgré une bonne volonté affichée, il ne fait pas réellement ce qu’il faut.
Souviens-toi, en septembre je t’ai dit « j’attends de voir ». On y est! Mais rassure-toi, c’est normal, c’est une phase d’apprentissage.
Il ne suffit pas de vouloir et de mettre de l’énergie pour que la sauce prenne. Il faut aussi du temps pour qu’elle prenne sur le long terme.
A+, Fred.
Eric